Atelier Cezanne - Faire parler les morts

Les crânes exposés à l’atelier Cezanne sont actuellement étudiés par un médecin légiste.

L’anthropologue saisit les crânes et les observe. Très vite, l’ossement commence à révéler quelques secrets. Nous sommes en novembre 2023.

« Il s’agissait d’une simple visite, le chercheur était de passage à Aix. Intrigué par les reliques, il a demandé s’il pouvait les toucher, ce qui lui a été accordé » raconte Michel Fraisset, le directeur de l’Office de Tourisme en charge de l’Atelier Cezanne. Il apparaît rapidement que notre inconnu souffrait de multiples abcès dentaires et d’arthrose.

« Ces observations nourrissent d’une manière inédite nos connaissances sur Cezanne. Qu’a-t-il peint ? De quelle manière ? Comment a-t-il restitué picturalement ses modèles ? Les cinq crânes présents à l’atelier sont-ils ceux qu’il a peints dans ses toiles ? » Piqué au vif de sa curiosité, le directeur et une des médiatrices du musée, Laura Péramond, contactent le plus médiatique des médecins légistes français, Philippe Charlier. L’animateur de l’émission « L’histoire au scalpel » accepte sans hésiter de venir sur place inspecter les ossements conservés par Cezanne. Il commence l’étude de trois crânes et deux fémurs.

Ses premières observations permettent non seulement d’affirmer qu’il s’agit des crânes représentés sur les natures mortes du peintre aixois mais aussi qu’il éprouvait le besoin de reproduire chaque détail de ces modèles. « Il ne s’arrêtait pas à la forme de l’objet. Son caractère naturaliste et extrêmement rigoureux apparaît encore très fortement ici. Comme pour Sainte-Victoire dont il souhaitait comprendre les origines géologiques pour restituer sa splendeur, Cezanne s’est attardé ici à saisir les spécificités de ces crânes avant de les peindre. On étudie aussi l’auteur des peintures en étudiant ce qu’il a peint. On rentre un peu plus dans l’histoire de ses tableaux » souligne Michel Fraisset.

Ce travail va se poursuivre avec des modélisations 3D qui seront confrontées aux peintures de Cezanne pour évaluer son niveau de réalisme.

L’ANALYSE DE PHILIPPE CHARLIER, MÉDECIN LÉGISTE

« Pour un légiste la mort n’existe pas. Je m’occupe de faire parler les squelettes, les historiens de l’art feront parler Cezanne avec ces informations. Ma mission est de reconstituer le dossier médical des propriétaires de ces crânes. D’où viennent-ils ? Comment Cezanne les a eus ? Est-ce qu’ils ont été enterrés ? Autopsiés ? Quelle est la cause de leur mort ? L’ossature est un marqueur de la vie de l’individu. Prenons deux exemples. L’un des fémurs présente un syndrome ostéologique dit « du cavalier » présent non seulement chez ceux qui pratiquent l’équitation mais aussi, à une autre époque, chez les tonneliers. Ensuite, l’un des crânes affiche plusieurs traumatismes ante mortem, d’autres bien après. Il a été enterré dans une fosse commune puis exhumé sans grand ménagement par des fossoyeurs ayant laissé des traces d’objets tranchants. Il a ensuite fait l’objet d’études scientifiques, sans doute par des étudiants en anatomie. »


Article issu du "Aix le Mag" n°59, à consulter entièrement ici